L’article « Thérapie Toucher & Piano, Hypnose et Créativité » est paru dans la revue Hypnose et thérapie brèves d’août 2010 N°18, pp 22-36, sous le titre « Clavier Hypnotique ».
1.Thérapie Toucher & Piano® et Hypnose.
Andante
Ayant étudié le piano pendant de longues années, j’ai eu l’idée d’associer le jeu au piano et la massopuncture lors de mes séances de thérapie manuelle. Chacune de ces deux pratiques pouvant dans certaines conditions induire des processus de conscience, j’ai émis l’hypothèse que leur utilisation simultanée multisensorielle pouvait faciliter différentes situations rencontrées en hypnose Ericksonienne.
Voici comment se déroule une séance. Lors de la phase d’induction, tout en parlant au patient, je touche certains points de son corps et joue de l’autre main les premières notes au piano. Cela crée une certaine surprise, un changement d’ambiance. C’est une phase d’harmonisation rythmique et respiratoire avec le patient. Lorsqu’il aura fermé les yeux il y aura confusion : parfois le patient ne comprend pas comment je peux à la fois le toucher et jouer des notes éloignées sur le clavier. De plus, il est difficile de suivre les trois langages à la fois (verbal, tactile et musical), et bientôt quatre, lorsque deux voix se feront entendre au clavier (accompagnement et mélodie) .
Les notes ne sont ni fortes ni brutales car elles s’adressent à une personne qui a baissé ses défenses. Au début le rythme est lent, les notes graves, identiques et répétées, puis des arpèges sont égrenés suivant les harmoniques naturelles. Le chant peut alors accompagner la musique, simples voyelles prononcées avec la richesse harmonique de la voix, nouvelle source de basculement. La musique s’adapte au patient. Le plus souvent intercalée avec la parole elle en suit les développements : calme et sereine pendant la phase d’ouverture aux sensations du corps. Plus nuancée et colorée, plus « fleurie », lors de l’évocation d’un souvenir agréable dans la nature, avec sa végétation.
La musique et le toucher stimulent les autres sens par synesthésie. Si l’on choisit d’aller faire une balade, elle va devenir plus dynamique, plus rythmée plus enrichie. Elle imite les mouvements des vagues, du corps qu’elle emporte, plus fluide lorsqu’il entre dans l’eau. Un peu plus loin, elle peut changer de tonalité, moment opportun pour faire basculer le mental et lâcher prise. C’est aussi un ancrage pour débuter une autre phase. Pendant tout ce temps, un contact physique est conservé avec le patient : il ne doit pas y avoir de rupture du lien.
La recherche d’un objet inconnu, nécessite un traitement particulier. L’inconscient est particulièrement sollicité. Ce moment ne doit pas être troublé ni trop influencé par la musique. Le tempo se ralentit, les notes se font plus rares, plus nuancées. Les médiums sont appropriés. Une fois la recherche aboutie on aborde une phase plus créative. Le sujet revient à son chemin, transformé. La parole s’est tue. Le musicien peut maintenant, s’il le veut, laisser davantage parler sa créativité, son sens émotionnel du beau, autorisant ainsi le patient à développer le sien.
Retour progressif à l’instant présent en réduisant le rythme et la richesse du son. Le patient respire profondément et rouvre les yeux sur la dernière note.
L’harmonie musicale: une réalité scientifique
L’improvisation permet de s’adapter à chaque patient. Cette forme de musicothérapie est appelée musicale et réceptive puisque le patient est en situation d’écoute.
La pratique simultanée du piano et du toucher, est rendue possible techniquement en maintenant la pédale forte du piano enfoncée à l’aide d’une cale. Cela permet la continuité des sons qui se mélangent, donnant une impression aérienne qui favorise le changement de niveau de conscience. Mais cela impose aussi de tenir compte des lois physiques naturelles qui régissent les harmoniques, sinon il y aura une cacophonie désagréable. Nous allons voir que certaines de ces lois peuvent être utiles dans l’hypnose.
Quand on joue une note au piano on entend un son principal et simultanément toutes ses harmoniques, c’est à dire d’autres sons de plus en plus aigus qui se poursuivent de façon inaudible, jusqu’à l’infini.
En occident on attribue à Pythagore (Mathématicien grec du VIème siècle avant Jésus Christ), la découverte des rapports des harmoniques entre elles sous forme de fonction. En effet, si une corde d’1 mètre émet une note, la moitié de cette corde fera entendre son octave, ses deux tiers la quinte juste. Ce sont les premières harmoniques et on peut trouver les autres en prenant la quinte de la quinte etc… Cela a donné naissance à la gamme qu’on utilise de nos jours.
Les première harmoniques sont parfaitement perceptibles pour certains musiciens et ont la particularité de donner un son agréable à entendre. L’harmonie c’est ce qui plaît à l’oreille de façon naturelle. Sandra Trehub, de l’université de Toronto a montré en 2003 dans « toward_a_developmental Psychology of music » que, «dès l’âge de 2 mois le bébé préfère les sons consonants – les harmoniques – aux dissonances» note Olivier Bennaroche (1). Les calculs de Pythagore vont être complétés au début du XIXème siècle par la série mathématique de Joseph Fourier : « toute fonction périodique de corde vibrante s’écrit sous une forme infinie de fonctions sinusoïdales, correspondant au son fondamental et à chacune de ses harmoniques ». De nos jours on sait enregistrer ce spectre de fréquence sur un sonogramme.
Ces sons agréables pourront être joués pour créer un espace de sécurité, de solidité, une ambiance de calme. On jouera alors l’octave et la quinte qui constituent la structure de base de l’harmonie.
Les sons graves, en particulier, ont été utilisés par le dentiste français Feijoo
« pulsés de manière autonome afin de favoriser la suggestibilité et d’induire un état proche de l’hypnose » (1).
Les graves sont en effet plus riches en harmoniques. La richesse en harmoniques dépend du timbre de l’instrument utilisé. La voix humaine, elle, est très riche en harmoniques. Il vaut mieux utiliser un instrument acoustique (piano, violon) plutôt qu’un synthétiseur qui coupe les harmoniques.
Même une seule note a un sens musical grâce aux harmoniques et, jouée de façon répétitive comme une transe rythmique, agit comme une induction–réinduction. Cela rappelle les battements du cœur et favorise la sédation (2).
En variant le rythme on imite les mouvements de la nature et du corps (ballade). En suspendant le son, en le prolongeant, on maintient l’esprit en suspens, opérant une distorsion dans la perception du temps ordinaire : on entre dans le temps musical.
Enrichir le son avec la tierce ajoute de la couleur au son, et emmène dans un espace plus vaste , différent de celui de l’octave – quinte.
Toutes ces variations sont autant d’ancrages.
Donc, lorsqu’on joue une note, DO par exemple, elle engendre des harmoniques. Les premières (octave, quinte, octave, tierce, quinte donnent un sentiment de stabilité lié à l’exposition de la structure de la tonalité. Mais à partir de la 7ème harmonique, SIb, tout change. La tonalité bascule une quinte en dessous. De nouveau cette nouvelle tonalité va émettre des harmoniques qui vont la faire basculer dans la tonalité située une quinte en dessous etc…
A chaque harmonie succède un basculement dans une autre harmonie, de façon physique. Et cette évolution va, de quinte en quinte, retourner à DO, mais augmenté d’un 9<sup>ème</sup> de ton. (le système tempéré en usage a gommé cette différence). Ce n’est donc pas une évolution en cercle mais une spirale en expansion, comme l’Univers.
La loi naturelle du son, contient donc en germe son propre facteur de changement : à chaque phase de stabilité, succède un basculement dans une autre harmonie.
En entendant ce changement on perd pied, on a une impression de flottement, de lévitation. Cet effet a été beaucoup utilisé par Claude Debussy « musicien de l’imaginaire » (1), notamment dans le morceau pour piano « Dr Gradus ad Parnassum » de Children’s Corner .
Serions nous donc condamnés par les lois de l’Univers à évoluer à l’infini de phase de stabilité en phase de stabilité, en passant par des crises mais toujours vers un plus grand épanouissement ? Les lois de l’harmonie sont-elles les lois de l’Esprit, à l’œuvre dans le travail thérapeutique, dont l’objectif est « au degré le plus élémentaire, de changer quelque chose dans la vie du patient » (Gérard Salem) (3)?
Le système est par nature en constante évolution. Libre à nous d’y résister ou pas.
Les origines
L’hypnose moderne puise ses racines dans l’hypnose traditionnelle.
Franz-Anton Mesmer faisait jouer un pianoforte et chanter dans la pièce voisine de celle où était installé le fameux baquet. « Il lui arrivait de jouer au piano des airs émouvants pour déclencher la transe chez ses patients lorsqu’ils n’atteignaient pas la crise parfaite » (1).Le changement de tonalité et de mesure influençait les malades et augmentait la vivacité des convulsions. Il appliquait aussi ses mains sur les hypochondres et la région abdominale. « Les attouchements, l’action répétée de l’imagination pour produire des crises… » sont notés par Lavoisier et Benjamin Franklin dans leur rapport du 11 août 1781.
Plus tard Jean-Martin Charcot(1825-1893), neurologue à la Pitié-Salpétrière, notait que « l’hypnose est provoquée par divers stimuli : les bruits qui surprennent, les gongs, le Tam-Tam. » Pour lui, il existe dans le corps des zones hypnogènes dont la pression déclenche un état hypnotique : certains muscles, certains tendons, la base des pouces, le front, le sommet du crâne. Certains correspondent à des points d’acupuncture connus pour leurs effets sur le psychisme.
Milton H. Erickson propose « un langage hypnotique spécifique qui utilise les canaux de communication que nous apportent les cinq sens, et qui facilitera au sujet l’accès à ses propres ressources par une stimulation indirecte» (4) :
« Depuis toujours on s’est rattaché à des méthodes formalisées d’induction hypnotique, comme si l’hypnose dépendait de l’énoncé de certains mots dans un certain ordre, alors que les sujets sont assis dans une certaine position. On oublie souvent que l’hypnose comme le sommeil physiologique, est un processus qui peut se produire dans des circonstances très variées » (9).
La thérapie manuelle
Associée au toucher, l’Hypnose peut être utile dans les troubles émotionnels, les psychotraumatismes et les symptômes psycho-somatiques.
La thérapie manuelle se déroule souvent sous la forme d’une hypnose conversationelle, qui peut servir d’induction à une hypnose de la douleur ou ayant un but plus personnel, exposé pendant la phase précédente.
Le travail va consister à évoquer le souvenir en état d’hypnose tout en établissant un lien avec la zone où la mémoire-émotion corporelle est engrammée.
Le toucher peut éveiller « une longue chaine de réponses corporelles » (6). Pour François Roustang « notre corps est la mémoire de toutes les interactions qui nous ont édifiées » (7). De nombreux auteurs ( Victor Simon (6), Marie Arnaud ( 18)) soulignent la violence de telles libérations émotionnelles.
La massopuncture peut apporter une aide dans la régulation de leur expression. On peut en effet avoir sur un point un effet de stimulation ou d’apaisement (dispersion en acupuncture). Souvent les points à utiliser sont à distance de la zone douloureuse ce qui évite de l’aborder trop directement. D’autre part, en plus de son action physiologique, un point possède souvent une action psychique qu’on retrouve dans son nom : points « fenêtre du ciel », point qui « régit l’effroi »…
Dans tous les cas, le toucher apporte au patient une contenance et est utilisé par les sauveteurs sur les victimes en état de stress aigu.
En massopuncture, les points vont se succéder s’adaptant mieux que les aiguilles fixes d’acupuncture, au développement imprévu de la séance et à la déprogrammation de shémas circulaires bloqués. « L’évacuation d’une strate permet aux suivantes de remonter à la surface » (18). « Arrêter de tourner en rond » (8). Aller vers la spirale ?
Le son, qui augmente la sensibilité de la peau (Mirkin , institut Pavlov,de Leningrad, Madson et Mears ) (5), aidera en plus à faire remonter à la surface des émotions enfouies et à accompagner leur libération.
Indications et non-indications
L’association de la thérapie musicale et de la thérapie manuelle peut aider la pratique de l’hypnose en tissant un lien non verbal avec le patient.
La pratique musicale se révèle particulièrement adaptée au voyage métaphorique, à la créativité, à l’hypnose de la douleur et aux phénomènes de lévitation, parce qu’elle amplifie les processus dissociatifs.
J’ai eu la chance de suivre plusieurs femmes enceintes et, plus tard, leurs enfants se sont révélés très réceptifs à une musique qu’ils avaient déjà entendue dans le ventre de leur mère.
Je soulignerai l’aide que cette approche multisensorielle peut apporter dans les résistances. Antoine Bioy psychologue au CHU de Bicêtre rapporte que si 100% des personnes vivent des phénomènes d’hypnose spontanément, seulement 70% d’entre elles sont suggestibles par la parole. Les 30% restants sont hypnotisables par l’auditif, les rythmes ou des méthodes visuelles. C’est l’association de suggestions verbales et non verbales qui va vaincre les résistances. Les effets de confusion et de surprise de la musique ont été évoqués. J’ajouterai la saturation de notes dont le flux continu emporte .
Même si le VAKOG ( acronyme des cinq sens avec Kinesthésique pour toucher et mouvement) révèle un individu peu auditif ou peu tactile, la thérapie manuelle associée à la musique peut malgré tout être proposée car l’auditif et le tactile peuvent faciliter les autres sensations par synesthésie.
Tout le monde est-il réceptif à la musique ? La musique existant dans toutes les cultures, le problème posé est surtout celui de l’adaptation de la musique au patient. L’utilisation de musiques enregistrées, qui n’ont pas été composées spécifiquement pour l’hypnose, peut être désagréable pour le patient. L’état d’hypnose rend encore plus réceptif aux sons. Une personne habituée à écouter toutes sortes de musiques à l’état de veille, peut trouver ces mêmes musiques insupportables en état d’hypnose. D’autre part rappelons que la musique synthétique coupe les harmoniques et pour cette raison pourrait être moins inductrice et moins bien tolérée que les instruments acoustiques qui conservent toutes les harmoniques naturelles.
La musique se révèle une suggestion indirecte de changement et d’évocation intérieure La musique c’est le mouvement. L’harmonie c’est le changement.
Et si elle prend volontiers sa place, lors du silence du patient ou du thérapeute, il faut aussi savoir l’arrêter et écouter le silence
2. Thérapie musicale, hypnose et créativité.
Une thérapie structurante
Outre l’intérêt des thérapies musicales et manuelles dans l’hypnose, cet exposé a pour but de partager une expérience de créativité dans laquelle certains pourront, je l’espère, se reconnaître.
Si la créativité du thérapeute manuel est extrême (il ya sans doute à autant de pratiques que de praticiens), je me limiterai au parcours du musicien : la musique est plus visible (plus audible ?), plus manifestée, plus précise et donc se prête plus facilement à l’analyse.
Dans le mot musicien c’est l’adjectif qui compte le plus : « celui-là, qu’est-ce qu’il est musicien ! ». Etre musicien cela comporte une part de don. L’écoute, d’abord : avoir une sensibilité musicale, c’est d’après le neurologue Oliver Sacks « comprendre une musique instantanément ou à rebours » (12). Cela concerne aussi le mélomane qui, même s’il a de l’oreille, ne peut pas la reproduire (cette limite existe aussi pour l’instrumentiste qui écoute une symphonie).
Le musicien doit aussi savoir exprimer ce qu’il a ressenti en transmettant une émotion à quelqu’un avec ses nuances. Pour lui, la musique est un besoin vital, nécessaire à son équilibre. Comme le fait remarquer Aurélia Sickert Delin, musicienne et psychologue à la faculté de Strasbourg, pour travailler sa technique « il s’est longuement retiré du monde » (13). Face à lui même, il a affronté ses affects, a appris à éprouver ceux qui lui étaient étrangers. Par ses efforts, son lâcher prise, il a dépassé les difficultés émotionnelles et sensori-motrices, dans une discipline non-verbale. Il a traversé, s’est dépassé, a connu l’équilibre, la joie et la satisfaction de soi, les a perdus mais connaît le chemin pour les retrouver. Les critiques de ses professeurs, sur des points sensibles de son être, lui ont appris à se remettre en question et à se relever. Plus tard face au public il a appris à canaliser ses émotions, apprenant le centrage mental et la distance, pour pouvoir les exprimer sans perdre le contrôle de ses muscles.
Il s’agit donc d’une véritable « thérapie constructive » (13), d’un travail sur soi original. Commencé dans l’enfance, le long apprentissage solitaire va développer la volonté, la patience, la ténacité. C’est un travail non verbal, multisensoriel (toucher, audition) et neuromoteur, émotionnel et physique à la fois. L’affinement de sa sensibilité l’ouvre à un monde de beauté, à des domaines sensoriels et émotionnels encore inconnus, à son imaginaire, sa créativité. Il ressent l’effet d’une prise de hauteur, d’une amplification du champ de ses ressources mais est constamment recadré par la réalité matérielle de ses mouvements dont la moindre erreur, s’entend. La plus paradoxale exigence de cet art est de demander une expression sincère en même temps qu’un contrôle musculaire digne de la précision d’un horloger.
Même intégrée, cette maîtrise du corps nécessitera toujours un certain degré de vigilance.
Les stimulations sensorielles, les mouvements des doigts vont structurer son cerveau dans l’harmonie du son.
Il suffit de se rappeler les surfaces prépondérantes occupées par la main dans l’homonculus sensoriel mais aussi moteur (elles approchent 50% de la surface si on y ajoute l’appareil de phonation pour le chant), pour imaginer à quel bombardement de stimuli est soumis un cerveau pendant au moins 10 années à raison de 4 à 10 heures par jour. Ce véritable massage cérébral dû à l’activité des 2 mains ensemble est encore amplifié par la perception cérébrale du son.
« Lorsqu’on écoute de la musique, c’est l’ensemble du cerveau qui réagit (…). Elle met en jeu non seulement les 2 hémisphères mais également les aires sous corticales… » (14) dont le système limbique, activé par les émotions. Cette activité transforme d’autant plus rapidement la structure cérébrale du musicien que l’apprentissage de la musique a été précoce (12). Des chercheurs de Harvard ont constaté en pratiquant des IRM morphométriques chez des musiciens professionnels que, par rapport aux non musiciens, « les volumes de matière grise sont plus importants dans les aires corticales motrices auditives, visuospatiales, le cervelet » et que, le corps calleux « véritable autoroute de l’information » (15) qui permet aux 2 hémisphères de communiquer, est plus développé (16). Et aussi : « les réactions du tronc cérébral des musiciens sont plus rapides et plus étendues que celles des non musiciens lors de stimuli musicaux, renforcement fortement corrélé à l’ancienneté de la pratique musicale » (17).
Il est certain que le musicien va s’en servir .…pour faire de la musique et en faire profiter l’auditeur, dont le cerveau sera à son tour stimulé.
Imaginons : le pianiste en concert réaligne ses structures cérébrales : Les 2 hémisphères sont stimulés, mis en phase par l’intermédiaire du corps calleux. Le son et l’émotion produits allument le système limbique et tout le cerveau. De nouveau les mains entrent en action. Petit à petit, se produit une spirale d’amplification. A un moment le musicien atteint un état d’unité, un sentiment de plaisir. Il se ressource, trouve une vitalité, une inspiration. Il crée. Il est alors dans un autre plan de conscience, en contact avec la partie sensible de son être. Ce serait d’ailleurs un psychotraumatisme que de l’interrompre à un tel moment de vulnérabilité.
Il doit rester vigilant et garder une distance pour ne pas se « laisser submerger par l’émotion de la beauté, sinon il perd le contrôle de ses doigts » souligne Thérèse Dussaut, pianiste concertiste. La montée en puissance du son et de l’émotion culminera dans le final, savamment amené par le compositeur, par une série de paliers, amplifiants la sensibilité, qui sont autant d’inductions-réinductions.
Musicien thérapeute
« Parvenu au bout de son chemin d’autoguérison », le futur musicien – thérapeute peut « renoncer à la perfection technique. Il met son art au service de la thérapie » (13). Il prend alors une posture « qui exige que l’on écoute de tout son être (… ) et qui requiert un état de vacuité » écrit il y a plus de 2000 ans Tchouang Tseu , philosophe chinois (19). C’est une posture éthique, sans jugement. « La conscience de l’entendement doit pouvoir s’effacer (…) jusqu’à laisser la place à l’âme sentante dans la veille » dit Hegel dans le magnétisme animal (19). « Pour être présent à la transe Il doit être absent en tant que sujet connaissant. Le thérapeute est poussé à s’appuyer sur d’autres indices, plus fins, plus subtils, à se concentrer sur des signes presque imperceptibles (…) Il peut s’en remettre dans l’instant à la totalité du champ sensoriel et élargir jusqu’à son maximum le champ de ses perceptions » Sylvie Lepelletier Beaufond (10).
Dans cet état de perception globale (François Roustang) (10), le thérapeute est à l’écoute de l’autre mais aussi de lui même. Ils se rencontrent et se mettent en phase au travers du rythme respiratoire et musical.
Dès le début,
« le patient et sa présence nous font entrer en transe (…) avant même qu’il ne le soit » (10).
Le thérapeute entre en résonance et c’est là qu’il va entendre le premier son. Il y a contre transfert : « réaction au transfert du patient sur sa personne ». « Le non contrôle (…) de l’entendement laisse entrer dans le jeu, des potentialités jusque là tenues à l’écart. (…) Elles sont réintégrées grâce à la liberté de mouvement qui leur est octroyée » écrit Hegel (19).
Pour Marshall Rosenberg
« l’écoute empathique appelle une réaction qui ne peut être préméditée »(20).
Cette attitude du musicien face à un patient peut être comparée au coping actif des humanitaires lors de catastrophes
Dans sa tête il entend des notes. Elles lui viennent. Il a envie de les jouer. Jouer est vital pour un musicien. C’est une expression non verbale qui ne comprend ni critique, ni jugement. « Il quitte la subjectivité » (10).
Mais n’est donc pas toujours facile de faire la distinction entre une « pensée » musicale qui prend sa source dans l’intellect, et une « envie » musicale qui vient d’ une perception.
A un moment, avec un patient musicien, j’ai envie de faire une note. Elle fait partie des harmoniques connues. Sa présence serait donc cohérente et j’aurais du plaisir à la jouer. Je filtre et me donne l’autorisation de la jouer. Mais après l’avoir jouée (pendant ? avant ?), je ressens que quelque chose ne va pas. Mon patient, qui a une sensibilité aigue (et de l’oreille) me dit immédiatement « Ah non, pas une dixième ! » (intervalle de 10 notes). Mon envie avait pris sa source dans mon intellect et non dans ma perception (auditive) de la note. C’était une pensée. J’ai alors compris que seules des notes apaisantes étaient appropriées à cet instant, pour ce patient. Mon ressenti de la note jouée, confirmé par la réaction du patient, me dit si elle convient ou pas à la situation. Pas à moi, pas à l’autre, mais aux deux. C’est peut être ce qu’évoque Sylvie Lepelletier Beaufond : « au croisement du thérapeute et du patient peut se construire une sorte de matrice commune de sensations, d’émotions, de perceptions » (10). Une fois mon erreur reconnue, la totalité de l’action, source, acte et conséquences, sont perçus sous la forme d’une prise de conscience qui a le caractère de l’évidence. Avais-je cette finesse de perception et un patient aussi sensible il y a un an à peine ?
Avec un autre patient, l’élaboration de la métaphore verbale focalise toute mon attention créatrice et soudain, je prends conscience que mon accompagnement au piano a changé depuis plusieurs mesures avec l’introduction d’une nuance très délicate et expressive. Comme si mes doigts avaient estimé par eux mêmes qu’elle était plus appropriée à la situation. J’ai déjà fait cette nuance maintes fois par le passé. Elle est donc en mémoire, mais j’ai l’habitude de décider moi même du moment où je l’emploie ! Un niveau de conscience très créatif agirait – il en association avec d’autres niveaux de conscience automatisés, mais qui peuvent aussi être aussi le lieu d’une créativité non consciente ?
« Parce qu’il sait naviguer à travers les affects, le musicien thérapeute est en mesure d’aller rejoindre des êtres perdus dans les méandres de leurs états mentaux, tisse un lien réconfortant, et indique le chemin de retour » (13).
Il accompagne, il guide. Sa latitude d’action ressemble à celle de l’interprète de musique classique qui trouve une liberté d’expression au sein d’une œuvre imposée. (Peut-on interpréter un patient ?).
La musique qu’il joue stimule son imaginaire métaphorique en retour, amplifie en spirale son processus de dissociation : pendant que les doigts jouent, l’esprit fait autre chose.
Et au cours de ce voyage – le temps de l’amplification de l’induction et des lâcher-prise conjoints du patient et du thérapeute – j’émets l’hypothèse que, le moment venu, une phase de créativité plus vaste peut apparaître dans laquelle « le thérapeute invite le patient à l’accompagner » (10).
Je cite : Carl Rogers « L’aidant, celui qui sait apporter sa spontanéité créative au patient… » (21). Michel Kerouak : « L’art de donner le bon coup au bon moment dépend de l’observation, de la patience et de la créativité du thérapeute » (8). Le « savoir attendre » de François Roustang, le Kaîros d’Aristote (à quel moment je dois faire les choses) rappelé par Charles Jousselin.
Il faut être patient et attentif pour percevoir un espace qui s’ouvre chez le patient. Comme dit Gérard Salem dans « Le combat thérapeutique »,« Les deux protagonistes sont à la recherche d’un espace plus large qui leur redonnerait , à l’un et à l’autre, un peu plus de liberté , l’un pour soigner, l’autre pour guérir » (3).
Dans cet espace plus large, la création d’une une œuvre d’art pourra être tentée.
Malarewicz écrit :
« Faire en sorte que l’état hypnotique soit profitable a un patient, s’apparente à la création d’une œuvre d’art » (1).
Qu’est-ce qui caractérise une œuvre d’art ? Elle existe indépendamment de son modèle et de son créateur. Ici elle prendra la forme d’une inspiration, plus qu’une improvisation sur un thème ou qui chercherait à décrire le patient. Retravaillée ou pas, elle pourra donner lieu à une composition qui gardera un sens en dehors de la séance , même si les protagonistes partagent le secret de son origine.
A mon sens, l’œuvre d’art c’est ce que le patient laisse possible de faire.
J’y vois aussi une plus grande présence du thérapeute dans sa transe et l’expression d’une prise de liberté plus vaste dans le contre-transfert.
« Une des conditions indispensables de la thérapie serait cette capacité à se laisser atteindre par le patient, se laisser défaire jusqu’à épouser sa forme psychique et pouvoir aller dans cette position et en revenir » écrit Margaret Little citée par Marie Pierre Sicard Devillard qui ajoute : « la liberté du thérapeute aurait à voir avec l’aptitude ( …) de servir de réceptacle mais savoir aussi s’en départir » (19).
Dans les limites de ce nouvel espace plus vaste, le musicien s’autorise à partager une envie créatrice, un ressenti personnel de beauté. Il ouvre les vannes et va laisser s’exprimer une part plus sensible de lui même. De nouveau il va affronter ses propres résistances de thérapeute. S’abandonner à la création présente un risque véritable : est-il dans une illusion de thérapie ? Qu’est-ce qui garantit la beauté de sa création, qu’elle soit partagée ou utile pour le patient ? Peut-elle lui nuire ?
Erickson nous propose d’accueillir avec confiance ce qui vient d’un inconscient positif. L’intention peut justifier la prise de risque car pour Gérard Salem
« Il faut risquer pour réveiller les patients (…) de leur léthargies… ».
Risquer, dans l’espoir de leur transmettre par résonance, la capacité de passer du passif à l’actif, de réveiller leur propre processus créatif.
Oser être soi. Oser faire ce qu’on a jamais fait. « Pour rencontre l’autre il faut s’exposer » ( Charles Jousselin), exposer à son tour sa vulnérabilité, la part sensible de son être au jugement de l’autre ; se risquer à être soi-même pour l’autre, et pour soi. S’il veut être authentique et sincère, et s’il ressent l’envie créatrice, après avoir longuement écouté l’autre, le thérapeute s’autorise à se faire entendre de lui.
A ce moment précis, il va vers l’inconnu. « L’intuition d’une inconnue déjà possédée mais non intelligible » écrit Igor Strawinski dans la « Poétique Musicale » (22).
« L’art rend visible ce qui est invisible » (Paul Klee).
Mais d’où vient la musique ?
Pour Strawinski
« Le gazouillis du ruisseau, le chant d’un oiseau : quelle jolie musique ! On ne parle bien sûr que par comparaison : ces éléments sonores évoquent pour nous la musique, mais ne sont pas encore de la musique. Ils ne constituent la musique que par l’effet de leur organisation par l’action consciente de l’homme (…), de l’esprit qui ordonne et qui crée » (22).
Bernard Gavoty écrit :
« La composition musicale est une construction abstraite. De quoi s’inspire un musicien ? De rien. La matière de son art est la musique elle même, c’est à dire une invention pure» (23).
Mais cette création a pour limites le respect du patient, les lois naturelles de l’harmonie et pour Strawinsky « l’idée d’un ordre sacré qui trace toujours la limite entre ce qui est permis et ce qui s’impose, entre l’imaginaire et le défini, la liberté et la nécessité » (22).
Dans l’exercice de sa création, l’attention du musicien est focalisée sur le processus musical, tandis que la conscience qu’il a de son patient, est maintenue uniquement en arrière plan : « L’observateur caché » de Hillgard,« système de protection inconscient qui nous alerte quand cela est utile » (4).
Il doit rester vigilant pour ne pas se laisser emporter par son émotion et perdre le contrôle de ses doigts.
Une autre limite (ou richesse) vient du patient car sa création est inspirée de lui. Quoi qu’il fasse il est imprégné des éléments constitutifs liés à la présence de l’autre. « Peut-on envisager que dans la transe commune (…) peut s’opérer un partage, une mise en commun d’éléments des constitutions préalables (de chacun)? (…) patient et thérapeute sont alors agis par cette matrice commune » (10). Le musicien en transe est en effet bien plus inspiré (passif), qu’il ne s’inspire par un effort de sa volonté.
C’est au final un grand ressourcement auquel le thérapeute va accéder, un renouvellement de lui même, procurant vitalité, émotion et satisfaction. « Le plaisir est thérapeutique » (Sigmund Freud).
Moment de transe profonde partagée avec le patient qui lui même a peut être éprouvé des perceptions similaires, prenant parmi les harmoniques celles qui le touchent, lui paraissent utiles et sur lesquelles il rebondit . Enfin il peut éprouver ou retrouver l’émotion thérapeutique et mobilisatrice de la beauté.
Yehudi Menuhin disait :
« La musique sert à lier notre existence à celle de l’humanité et à la nature » (13).
L’art du thérapeute
A travers toutes ces limites, si étroites soient elles, il existe une infinité de façons d’exprimer notre réponse de praticien, avec chacun nos nuances, notre « style » et cette chose tout à fait personnelle et non verbale qu’on appelle le « talent ».
Comme le rapporte L.Isabaert, toutes les techniques présentent à peu près les mêmes résultats mais il y a des différences très importantes entre les thérapeutes. On parle d’ « effet spécifique thérapeute », de compétence non technique. L’authenticité et l’état d’esprit du thérapeute, facteurs importants de la relation thérapeutique, comptent beaucoup dans le succès d’une thérapie.
Pour Gérard Salem il est important de revisiter la relation thérapeutique d’un point de vue éthique : « Tout psychiatre – (et cela concerne toutes les disciplines NDLA) – doit pouvoir interroger sa conception du soin et de sa praxis (…) sans être stigmatisé par sa corporation professionnelle. (…)Le rôle du thérapeute n’est donc pas (…) de reformater les patients selon les shémas sociaux conventionnels, devenus aujourd’hui déshumanisants.(…) (il) s’efforcera de préserver en toutes circonstances sa liberté de réfléchir par lui même et surtout sa curiosité clinique » (3).
J’espère que cet exposé aura apporté à certains des idées, à d’autres un encouragement à aller encore plus loin vers leur art personnel de soigner.
Bibliographie
- Olivier Bennaroche, « Musicothérapie et Hypnose », Hypnose et Thépapies brèves N° 8 . Fév 2008.
- Stéphane Guétin, Revue Française de Musicothérapie, Sept. 2009.
- Gérard Salem, « Le combat Thérapeutique », ed. Armand Colin, 2006.
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