Vidéo de la conférence du 25 janvier 2015
Article paru dans la revue Hypnose et Thérapie brève N° 30, août 2013, pp 80-83.
En présentant – aux congrès mondial d’hypnose de Brème en 2012 et français de Strasbourg en 2013 – les processus hypnotiques que l’on trouve dans les œuvres de Bach et Debussy, j’ai associé deux compositeurs qui, à première vue, s’opposent.
Jean-Sébastien Bach et l’hypnose
La musique de J-S. Bach, comme toute la musique baroque, exerce un effet apaisan
Cela s’explique par le fait qu’elle est basée sur la tonalité, qui prend elle-même sa source dans les premières harmoniques du son définies par Pythagore quatre siècles avant notre ère. La tonalité donne un repère de stabilité et l’harmonie fait du bien.
« L’harmonie c’est ce qui sonne bien à l’oreille »
selon Narcis Bonet, professeur d’harmonie à l’Ecole Normale de musique de Paris.
Quand on fait entendre des sons consonants à des enfants de deux ans, ceux-ci tournent la tête vers ces sons harmonieux. Les sons dissonants leur font tourner la tête de l’autre côté.
Psychotraumatisme
Jean-Sébastien Bach (1685-1750) souffrait de l’angoisse de la mort. Etonnant pour quelqu’un qui a écrit une musique qui mène à la sérénité ? Sauf s’il l’a composée pour se soigner lui même.
Orphelin – il a perdu sa mère à 9 ans et son père l’année suivante – il a finalisé le clavier bien tempéré, le repère à la base de la musique classique qui permet de jouer dans toutes les tonalités.
Au cours de sa vie, il a perdu 14 des 20 enfants que ses 2 femmes successives lui ont donnés. Même si à l’époque le fait était courant étant donné le niveau élevé de mortalité infantile, Bach ne s’en remettait pas. Il aurait cherché longtemps de quelle maladie il souffrait, maladie dont aucun médecin ne trouvait la cause, jusqu’à ce qu’il comprenne qu’il était tout simplement triste de la mort de ses enfants.
Excellent pédagogue, il s’est remarquablement occupé des survivants qui ont été de merveilleux musiciens et dont les enfants, et ceux de ses élèves, ont transmis son rayonnement jusqu’à nos jours. Dans la dernière partie de son œuvre, il a atteint un degré d’universalité dans sa création, touchant ainsi un but qui dépassait l’être humain et sa souffrance.
Massage cérébral
Claveciniste et organiste hors du commun, on sait aujourd’hui que par le massage cérébral qu’ont exercé quotidiennement les influx moteurs et sensitifs de ses deux mains, associés à la stimulation sonore de toutes les aires corticales ainsi que celle du système limbique par les émotions, il a, comme tous les musiciens professionnels, augmenté le volume de son cortex et surtout de son corps calleux, la structure qui relie les deux hémisphères et qui couple les deux cerveaux.
De cette manière il a structuré à la fois son cerveau et son esprit.
Résilience
Ainsi est obtenue en hypnose musicale la première étape indispensable au travail hypnotique : l’installation d’un espace de calme et de sécurité en utilisant la régularité de la pulsion – pulsion de vie pour Bach – et les harmonies tonales. A partir de cet état le patient pourra aborder tous les éléments de sa vie psychique mais de façon distanciée.
Ici s’établit donc la différence entre la musique jouée pour accompagner l’hypnose et la musicothérapie qui, elle, a pour objectif premier de libérer les émotions et faciliter la communication. En hypnose, ce n’est qu’après avoir instauré cet état de calme et de distance qu’un travail sur les émotions pourra être entrepris.
Ces émotions seront d’ailleurs exprimées dans la période dite « romantique », qui va succéder à la musique baroque, et qui reste de la musique « classique » puisqu’elle respecte le cadre de la tonalité.
Claude Debussy musicien de l’imaginaire
A la fin du XIXème siècle, Claude Debussy (1862-1918), musicien de l’imaginaire, va, comme d’autres musiciens de son temps, chercher à sortir des formes conventionnelles. « Plus que tout autre, il est allé au bout des possibilités de l’harmonie » selon Narcis Bonet.
Curieusement Debussy déteste que l’on qualifie sa musique d’« impressionniste ». C’est parce les musiciens académiques de son temps associent à ce terme un manque de clarté et des contours imprécis.
En fait, il considère sa musique comme un travail sensible mais aussi de précision et de vérité : il veut décrire non pas le réel mais ce que l’individu perçoit. Pour cela il faut échapper à l’étroitesse classique qui enferme la création musicale dans des écoles, des règles d’apparence qui ne permettent pas d’exposer la profondeur, l’individualité.
« Sa musique ne vivra pas car elle n’a pas de formes »
écrira Vincent d’Indy, fondateur de la Schola Cantorum, à la sortie de Pelléas et Mélisande en 1908. Mélisande, vulnérable, faible, morbide est à l’image de la génération de la fin de ce siècle qui se détachait, écœurée, de la vie .
Aux confins de l’harmonie : l’hypnose
Pourtant Claude Debussy est loin de rejeter les lois de l’harmonie. « Je ne crois plus à l’omnipotence de votre Do Ré Mi Fa Sol La Si Do. Il ne faut pas l’exclure mais lui donner de la compagnie… ».
De fait dans son Dr Gradus ad Parnassum, le début « à quelques notes près, c’est du Bach » selon Narcis Bonet, mais au milieu de l’œuvre, Debussy choisit parmi les harmoniques de Pythagore celles qui sortent de tonalité.
Tout en restant dans l’harmonie, donc dans la consonance, il sort de la tonalité, donc des repères. Cette perte de repères donne l’impression de quitter terre, un effet de lévitation hypnotique, un état de dissociation accentué par un traitement original du tempo qui induit une distorsion temporelle. L’on a une impression d’expansion de l’espace. En musique, le temps c’est de l’espace. Comme cela ne peut être un espace matériel, il s’agit d’un espace intérieur.
Décrire l’inconscient en imitant la nature
En fait, Debussy cherche à décrire l’inconscient. En 1889 il découvre les musiques « primitives », extra européennes, venues jusqu’à lui lors de l’Exposition Universelle : « Leur conservatoire [[/span]de musique ] c’est le rythme éternel de la mer, le vent dans les feuilles, et mille petits bruits qu’ils écoutent avec soin, sans jamais regarder dans d’arbitraires traités » . De là naîtront La Mer, Reflets dans l’eau et Poissons d’Or qu’il aimait particulièrement jouer au piano.
De la nature, il va passer à la description de ce que perçoit l’âme humaine : ses formes, ses mouvements, ses univers. De là naîtra cette musique irréelle, éthérée, ces couleurs musicales : Clair de lune, Rêverie. La vie ne peut être appréhendée que de façon non verbale. Pour faire cela il fallait s’émanciper des repères étroits de la musique classique, sans nécessairement quitter – et même au contraire conserver – la beauté et l’harmonie.
Retrouver son humanité
Et que faisons nous, hypnothérapeutes en cette période de « fin du monde annoncée » ? La même chose : nous recherchons notre humanité. Sans rejeter la science qui permet de poser le cadre clinique au sein duquel nous pouvons aider avec un maximum de sécurité, nous cherchons à atteindre l’inconscient de nos patients.
Nous le faisons par des stimulations sensorielles, indirectes par le verbe, directes par le son ou d’autres sensations : le toucher, le mouvement ou l’odorat. Si l’on utilise ces sensorialités avec son âme elles deviennent de l’art.
Ce geste artistique est un acte thérapeutique de beauté. Pratiqué au cours d’une séance, il va déteindre sur toute l’ambiance du soin. Celui qui soigne avec art se dissocie dans le monde de la créativité et de la perception, et ressentir, s’ouvrir à nouveau, c’est guérir.
Structure et perception : la clé
Bach nous a apporté la structure, espace de sérénité et de sécurité à partir duquel Debussy a atteint l’inconscient par son art des sons, de façon non verbale ; structure et perception : les deux éléments indispensables à l’équilibre.
Mesmer, qui au XVIIIème siècle accompagnait lui même ses séances au piano, avait déjà compris cela.
Petite discographie
Jean Sébastien Bach
- Une ode à l’amour : l’adagio du concerto pour deux claviers et orchestre en do mineur BWV 1060.
- Plus de liberté : Fantaisie Chromatique et Fugue en Ré Mineur BW 903.
Plus classiques :
le Concerto Italien (ou « in italian style ») en particulier l’adagio, les Concertos Brandebourgeois. Claude Debussy
Les classiques : Première arabesque. Toccata (Pour le piano III). L’Isle Joyeuse. Childrens Corner (dont « Dr Gradus Ad Parnassum »).
La beauté : Rêverie.
Les effets diffus : Danseuses de Delphes, La cathédrale engloutie (Préludes I). Brouillards (Préludes II). Cloches à travers les feuilles (Images).
Le mouvement : Reflets dans l’eau, Poissons d’or (Images). Jardins sous la pluie (Estampes). Les fées sont d’exquises danseuses (Préludes II).
Pour le plaisir : la « Suite Bergamasque » dont le « Clair de lune ».
Bibliographie
Sylvie Trehub,toward_a_developmental Psychology of music 2003, Université de Toronto citée par Olivier Bennaroche dans « Musicothérapie et Hypnose », Rev. H&TB N°8, Fév. 2008.
Gilles Cantagrel, musicologue et historiographe de J.S. Bach dans « Que ma joie demeure » d’Alexandre Astier. dvd universal.
Alexandre Astier dans « Que ma joie demeure » d’Alexandre Astier. dvd universal.
Stéphane Ottin Pecchio, Clavier Hypnotique. Toucher et piano thérapeutique. Rev.H&TB N°18 Août 2010,p30.
Schlaug « Brain structure differ between musicians and non musicians ». Journal of neuroscience, N°23(27)2003,p9240-9245
Wolfgang Stahr in « The Claude Debussy Collection », sony classical.
Eitan G. Abramovitz, Pesach Lichtenberg « Hypnotherapeutic Olfactory Conditioning( HOC) : Case Studies of needle Phobia, Panic Disorder, and Combat-Induced PTSD » International Jpurnal of Clinical and Experimental Hypnosis, 57 :2, 184-197